• Dans l'oeil du cyclone

    Le nazisme n'est pas apparu comme ça, tout à coup, comme un champignon après la pluie.
    Il s'est mis en place lentement, par la ténacité d'un homme, la cupidité d'autres et la lâcheté de ceux qui avaient fait signer le traité de Versailles à une Allemagne à genoux.

    Comme il y eut une après-guerre, il y eut avant 1933, année de l'érection des premiers camps, Orianenburg et Dachau.

    Entre imaginaire et réalité, commence la vie de mes personnages, fictifs, réels.

    Les chapitres se suivent dans l'ordre, du 1er au dernier, pas encore écrit.

  • Horst enfila sa veste sous le regard inquisiteur de sa femme.
    Il sentait ses yeux posés sur sa nuque ; elle faisait ça souvent quand il était rentré, par sollicitude, par inquiétude. Elle guettait chaque tressaillement de son corps, chaque frisson qui transportait la douleur dans son corps.
    L'inquiétude était toujours là mais avait changé de qualité. Rose ne savait plus cacher son agacement devant les soucis qui s'accumulaient en une montagne qui deviendrait bientôt infranchissable.
    La pension de Horst, que lui versait l'armée depuis sa démobilisation ne suffisait pas à les faire vivre. Il avait les poches bourrées de marks mais il aurait tout aussi bien pu les bourrer de journal ! Ils ne valaient plus rien mais tout était devenu cher.
    Rose était maîtresse d'école et son traitement n'était pas beaucoup plus élevé. Heureusement qu'à sa mort son radin de père avait eu la bonne idée de lui léguer le petit appartement où ils vivaient désormais !
    - Il cherche un veilleur de nuit à l'usine Freier, tu devrais aller voir, lui suggéra Rose.
    - Jamais de la vie ! J'étais Meister chez eux et tu voudrais que j'aille mendier pour un poste de veilleur de nuit !
    - Il faudra bien trouver un travail car...
    La porte claqua, la laissant les bras ballants et les larmes aux yeux.

    Il pénétra dans la salle enfumée à l'arrière de la brasserie. Kurt était déjà là et l'attendait devant une bière. Horst se faufila entre les tables pour le rejoindre.
    - Assieds-toi Horst. je t'ai commandé une bière. Je suis heureux que tu sois venu. Tu verras ce que je te dis ! Cet homme est extraordinaire. Il a tout compris et s'il y en a un qui a des chances de ramener un peu d'ordre dans tout ce merdier, c'est bien lui. Et c'est un soldat, comme nous. Il ne laissera pas tomber.
    Horst plongea les lèvres dans la bière mousseuse qu'on venait de lui apporter et regarda autour de lui. Des hommes en sueur, rougis par la chaleur ou l'excitation, à moins que ce ne soit les deux, discutaient à voix forte
    - C'est ça ton nouveau parti ? Une belle bande de braillards, oui ! Des partis comme le tien, il doit y en avoir dix mille en Allemagne, ironisa Horst. Les sauveurs du monde se bousculent ces temps-ci.
    - Oui, mais tu verras, lui est différent. C'est un sacré bonhomme.

    Le silence se fit tout à coup, les conversations se firent mumures quand la porte de la salle s'ouvrit sur un homme que Horst jugea totalement insignifiant, aux cheveux gomminés et affublé d'une petite moustache ridicule dans ce visage mou. Tous les hommes présents se levèrent et saluèrent le nouvel arrivant, bras tendu, d'un sonore "Heil Hitler". L'homme salua à son tour, brièvement et alla s'assoir à une table avec d'autres membres éminents du NSDAP.
    Horst observa les visages tendus vers le nouvel arrivant et Kurt se pencha vers lui, admiratif : "C'est lui".
    Horst haussa les épaules. Il regarda à nouveau autour de lui : beaucoup d'hommes portaient une sorte d'uniforme, il en avait déjà entendu parler. C'étaient les fameux S.A., la garde rapprochée de l'homme à la petite moustache ridicule. Il y avait dans leur yeux quelque chose qu'Horst n'avait pas revue depuis certains assauts dans les tranchées, cette lueur folle qui dansait dans les yeux des soldats galvanisés par des chefs qui les poussaient, toujours plus loin, hors de leurs limites, la lueur folle de la peur, de la mort et de l'instinct de survie. Il était parti dans ses pensées quand soudain il sentit sa nuque s'électriser.

    "... Nous n’avons aucune intention d’être des antisémites sentimentaux désireux de susciter des pogroms mais nos cœurs sont remplis d’une détermination inexorable d’attaquer le mal à sa base et de l’extirper de sa racine à ses branches. Pour atteindre notre but, tous les moyens seront justifiés, même si nous devons nous allier avec le diable..."*

    L'homme était debout, chaque muscle de son cou tendu, les yeux lançant des éclairs.  Le débit était saccadé et l'accent autrichien, d'habitude un peu risible, ne faisait sourire personne. L'homme ponctuait chaque phrase d'un coup de poing sec, tel un coup de gonog. Horst ressentit à son tour l'énergie qui émanait de lui, un flux continu d'ondes qui l'envahissait, le submergeait.
    Celui que l'on appelait parfois par dérision "le Caporal autrichien" était un orateur hors pair, Horst devait bien l'admettre. Et cet homme, un certain Adolf Hitler, avait raison sur toute la ligne : si l'Allemagne en était là, c'était la faute de tous ces planqués, de ces Juifs qui spoliaient le peuple et faisait fortune sur le dos des humbles, comme lui et Rose.
    Kurt le regardait ; il avait noté le changement dans l'attitude même de son camarade. Et ils se sentirent frères comme jamais, même sous les pluies d'obus.
    Ce jour-là, Horst adhéra au NSDAP. Ce jour-là Horst sut, au plus profond de lui, que l'Allemagne allait enfin faire de grandes choses, dont le monde se souviendrait et qu'il allait entrer dans l'Histoire au côté de cet homme.

    (*) Hitler, Sämtliche Aufzeichnungen 1905-1924, op. cit., doc. 91, cité par Peter Longerich, The Unwritten Order. Hitler's Role in the Final Solution, Tempus, 2001, p. 21.

    Hitler à la Hofbräuhaus Munich 1923


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  • Quand il referma la porte de la chambre qu'il occupait au coeur de Münich, le jeune  Adolph était exalté.
    Fatigué mais plein d'une satisfaction qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps. il jeta son imper sur le lit et se massa les reins, douloureux de fatigue, en contemplant son reflet dans le petit miroir devant lequel il lissait soigneusement la frange qui lui barrait le front et égalisait cette petite moustache dont on se moquait de moins en moins. Bien qu'il aimât par dessus tout jouer les orateurs, il en ressortait toujours épuisé, euphorique mais si fatigué.
    Il jouissait de voir ces visages tendus vers lui, ces visages jeunes pleins de fougue et d'enthousisme qui lui rappelaient son optimisme quand il avait rejoint Vienne pour, il n'en doutait pas alors, devenir le plus grand peintre autrichien du 20ème siècle. Mais ces vieux imbéciles prétentieux n'avaient eu que mépris pour lui et avaient mis fin brutalement à ses rêves de bohême artistique.

    Il se remémora son arrivée dans ce petit groupe qu'était alors le DAP, en septembre 1919. Le service de renseignement de l'armée lui avait demandé de surveiller les activités du Deutsche Arbeiter Partei (Parti des Travailleurs Allemands) qui s'agitait dans cette Bavière instable, comme des dizaines d'autres petits partis insignifiants. Anton Drexler et ses amis de la société de Thulé s'agitaient beaucoup, discutaient beaucoup mais la quarantaine d'adhérents du DAP n'étaient que des amateurs, brassant des idées, se gargarisant d'idéaux mais incapables de faire décoller ce parti. Dans ses rapports à ses supérieurs, le caporal Hitler était sans ambiguïté : le DAP ne représentait pas une menace.

    Mais il avait tout de même pris sa carte (il en fut le 55ème membre) et dès le mois d'octobre 1919 il intervenait dans ce rôle qui le laissait au bord de l'extase : celui d'orateur. Sa lecture assidue de la Psychologie des Foules de Gustave Le Bon l'aida à acquérir une plus grande maîtrise de lui et lui enseigna le moyen de captiver son auditoire. Le souvenir amer de ses années passées au foyer de sans-abris de Vienne lui revint fugacement en mémoire : déjà à cette époque il aimait pérorer sur tout, sur rien, auprès de ses "camarades" de dortoir qu'il finissait par saoûler. Mais désormais les choses avaient changé.
    Il avait compris que ces crétins n'avaient pas besoin de théories ou d'idéologies auxquelles de toute façon ils ne comprenaient rien. Il leur fallait des discours percutants où ils entendraient ce qu'ils avaient envie d'entendre, des formules simples, des formules coup-de-poing qui marquerainet leurs esprits faibles durablement. Depuis qu'il était devenu l'orateur officiel du parti en octobre 1919, le nombre d'adhérents avait dépassé les deux milles. Anton Drexler bien que toujours dirigeant officiel du parti qui s'appelait désormais le N.S.D.A.P. (NationalSozialistische Deutsche Arbeiter Partei, Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands) devait compter avec lui, Adolf Hitler.

    Un frisson le parcourut ; l'excitation de la soirée n'était pas encore retombée et il en savourait encore dans toute sa chair le plaisir qui l'amenait parfois jusqu'à la transe. Sa pauvre mère était la seule qui avait eu foi en lui, la seule qui était persuadée qu'il deviendrait quelqu'un. Ce ramassis d'imbéciles serait son marche-pied vers de hautes fonctions à la tête de la Bavière. Lui l'obscure caporal autrichien serait un jour l'homme incontournable que l'on saluerait avec respect.

    Adolf cessa de se contempler dans le miroir à demi étamé pendu au-dessus du lavabo et s'assit à sa table de travail bancale.

    Lui, Adolf Hitler, avait des projets pour le Monde.


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