• L'amibitieux (6 avril 1920)

    Quand il referma la porte de la chambre qu'il occupait au coeur de Münich, le jeune  Adolph était exalté.
    Fatigué mais plein d'une satisfaction qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps. il jeta son imper sur le lit et se massa les reins, douloureux de fatigue, en contemplant son reflet dans le petit miroir devant lequel il lissait soigneusement la frange qui lui barrait le front et égalisait cette petite moustache dont on se moquait de moins en moins. Bien qu'il aimât par dessus tout jouer les orateurs, il en ressortait toujours épuisé, euphorique mais si fatigué.
    Il jouissait de voir ces visages tendus vers lui, ces visages jeunes pleins de fougue et d'enthousisme qui lui rappelaient son optimisme quand il avait rejoint Vienne pour, il n'en doutait pas alors, devenir le plus grand peintre autrichien du 20ème siècle. Mais ces vieux imbéciles prétentieux n'avaient eu que mépris pour lui et avaient mis fin brutalement à ses rêves de bohême artistique.

    Il se remémora son arrivée dans ce petit groupe qu'était alors le DAP, en septembre 1919. Le service de renseignement de l'armée lui avait demandé de surveiller les activités du Deutsche Arbeiter Partei (Parti des Travailleurs Allemands) qui s'agitait dans cette Bavière instable, comme des dizaines d'autres petits partis insignifiants. Anton Drexler et ses amis de la société de Thulé s'agitaient beaucoup, discutaient beaucoup mais la quarantaine d'adhérents du DAP n'étaient que des amateurs, brassant des idées, se gargarisant d'idéaux mais incapables de faire décoller ce parti. Dans ses rapports à ses supérieurs, le caporal Hitler était sans ambiguïté : le DAP ne représentait pas une menace.

    Mais il avait tout de même pris sa carte (il en fut le 55ème membre) et dès le mois d'octobre 1919 il intervenait dans ce rôle qui le laissait au bord de l'extase : celui d'orateur. Sa lecture assidue de la Psychologie des Foules de Gustave Le Bon l'aida à acquérir une plus grande maîtrise de lui et lui enseigna le moyen de captiver son auditoire. Le souvenir amer de ses années passées au foyer de sans-abris de Vienne lui revint fugacement en mémoire : déjà à cette époque il aimait pérorer sur tout, sur rien, auprès de ses "camarades" de dortoir qu'il finissait par saoûler. Mais désormais les choses avaient changé.
    Il avait compris que ces crétins n'avaient pas besoin de théories ou d'idéologies auxquelles de toute façon ils ne comprenaient rien. Il leur fallait des discours percutants où ils entendraient ce qu'ils avaient envie d'entendre, des formules simples, des formules coup-de-poing qui marquerainet leurs esprits faibles durablement. Depuis qu'il était devenu l'orateur officiel du parti en octobre 1919, le nombre d'adhérents avait dépassé les deux milles. Anton Drexler bien que toujours dirigeant officiel du parti qui s'appelait désormais le N.S.D.A.P. (NationalSozialistische Deutsche Arbeiter Partei, Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands) devait compter avec lui, Adolf Hitler.

    Un frisson le parcourut ; l'excitation de la soirée n'était pas encore retombée et il en savourait encore dans toute sa chair le plaisir qui l'amenait parfois jusqu'à la transe. Sa pauvre mère était la seule qui avait eu foi en lui, la seule qui était persuadée qu'il deviendrait quelqu'un. Ce ramassis d'imbéciles serait son marche-pied vers de hautes fonctions à la tête de la Bavière. Lui l'obscure caporal autrichien serait un jour l'homme incontournable que l'on saluerait avec respect.

    Adolf cessa de se contempler dans le miroir à demi étamé pendu au-dessus du lavabo et s'assit à sa table de travail bancale.

    Lui, Adolf Hitler, avait des projets pour le Monde.


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :