• Préambule

    Il peut paraître vain, voire prétentieux, de se lancer dans l’écriture d’un blog  sur la déportation surtout quand on n’est ni historien, ni romancier et encore moins témoin de cette période barbare de l’humanité. Il peut paraître indécent de traiter de la détresse humaine quand on est bien au chaud, confronté au problème que pose une nourriture parfois trop abondante.

    De cela je fus consciente le jour même où j’envisageai d’écrire un  livre sur le sujet. C’était voilà bientôt trente ans et déjà il me paraissait urgemment nécessaire de le faire. Etait-ce en 1981 ? En 1982 ? Je ne saurais le dire avec précision mais ce dont je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle fut d’avoir cherché le numéro de l’UDF pour parler à celle qui est pour nombre de Français l’une des plus célèbres déportées de France, Madame Simone Veil.

    Mon ignorance était telle que je commis l’erreur de la confondre une homonyme, Simone Weil, déportée de Ravensbrück et qui écrivit un témoignage de sa déportation.

    J’eus ce jour là l’honneur de parler à l’ancienne Ministre de la Santé qui leva la confusion en me révélant qu’elle avait bien été déportée mais à Auschwitz puis Bergen Belsen. Pour quiconque s’étant un tant soit peu documenté sur le sujet, ces deux noms étaient synonymes de l’horreur absolue, de manières différentes mais du même degré de cruauté. Puis vient LA question : quelle raison poussait une jeune femme de vingt-trois ans à vouloir écrire un tel livre ? J’y répondrai dans quelques instants. Comme ce jour là elle était en pleins préparatifs d’un débat télévisé avec Lionel Jospin en vue des élections européennes, elle me demanda de rappeler sa secrétaire afin que nous puissions convenir d’une date pour nous rencontrer. Je ne le fis jamais, trop timide pour cela, mais qui sait, peut-être aurais-je de nouveau ce culot avant d’écrire le mot final de ce blog ?

    Pour quelle raison créer ce blog ? « Mémoire », serais-je tentée de répondre. Que cette réponse est donc simpliste ! Il y a tant, trop, de raisons.

    Oui, il y a ce fameux « devoir de mémoire » dont on nous rabat les oreilles à chaque commémoration mais que nous oublions sitôt les drapeaux rangés et les survivants rentrés chez eux. Nous devons nous souvenir et nos enfants après nous, et les enfants de nos enfants pour que jamais ne recommence cette abomination. On aurait pu croire que l’horreur révélée au monde après la guerre aurait suffi à amener l’Homme à plus de raison et à le dégoûter à tout jamais de la guerre. Mais l’histoire contemporaine montre qu’il suffit de peu de chose pour qu’il retombe dans la barbarie. Les lois du commerce international, cette mondialisation dont on nous prônait les bienfaits, valent bien quelques petits mensonges entre amis et quelques entorses aux grands principes humains pour ne pas gêner l’enrichissement de certains. Même si il n’existe plus de Treblinka, on continue à tuer en masse dans l’indifférence, sauf quand des images viennent déranger les dîners cathodiques.

    Timisoara, Rwanda, Tamoul, Palestine, Tibet, indiens d’Amérique, et j’en oublie, autant de mots, autant de maux qui viennent prouver combien courte est notre mémoire, combien immense est notre indifférence.

    Il y a aussi cette phrase, terrible mais ô combien révélatrice, d’un membre de ma famille auprès de qui j’essayais de trouver des explications. J’avais alors treize ans et espérait qu’ayant vécu cette période, il pourrait éclairer ma lanterne. Au lieu de cela, j’eus droit à un haussement de sourcil étonné et à cette formule lapidaire qui tua le respect que j’avais pour cette personne : « Mais enfin, pourquoi tu t’intéresses à ça ?! Après tout, ce n’étaient que des youpins. » Je découvris l’antisémitisme ordinaire, celui qui ne s'exprime pas ouvertement mais qui est là, rampant, qui somnole dans l’inconscient d’un peuple en attendant qu’un illuminé ou qu’un nouveau leader vienne le réveiller.

    Je sais avec certitude que les faits se répéteront. C’est horrible mais c’est ainsi ; ma confiance dans la cruauté humaine est totale.

    Aussi, si ce blog peut permettre à certains de comprendre, de prendre conscience ou simplement de savoir, tant mieux. Quant aux autres, tant pis pour eux.

    Mais il est une chose que nous ne devons jamais oublier : dès lors où on approuve, ou seulement tolère, le massacre d’autres hommes, on accepte sa propre servitude et sa propre disparition.